Le sevrage et la voie vers le rétablissement
Le sevrage est un parcours complexe, marqué par des défis physiologiques et psychologiques. Cet article explore les étapes clés du sevrage et du rétablissement.
Comprendre le développement de l’addiction
Avant d’aborder les étapes du sevrage, il est essentiel de comprendre comment une addiction se développe. Dans notre système nerveux, des molécules appelées neurotransmetteurs permettent la communication entre les neurones et régulent des fonctions comme l’humeur, les émotions, la cognition, ainsi que les sensations de plaisir et de douleur.
Plusieurs neurotransmetteurs interviennent dans les mécanismes de l’addiction. L’un des principaux, par ailleurs le plus étudié à ce jour, est la dopamine. Bien qu’elle ne permette pas, à elle seule, de proposer un modèle complet de l’addiction, nous l’utiliserons pour simplifier et illustrer nos propos.
Dopamine : plaisir et motivation
La dopamine est un neurotransmetteur clé, qui joue des rôles très différents selon la zone du système nerveux où elle est active. Dans le système méso-limbique, la dopamine est impliquée dans la motivation et l’anticipation du plaisir. Ce neurotransmetteur active le système de récompense du cerveau, un ensemble de structures cérébrales qui incitent à répéter les comportements procurant une satisfaction.
Cependant, l’exposition prolongée à des substances addictives entraîne des modifications dans la plasticité synaptique et désensibilise les récepteurs dopaminergiques, rendant le plaisir de plus en plus difficile à atteindre. Cela alimente la recherche compulsive associée à l’addiction.
Addiction : entre plaisir et douleur
L’addiction, qu’elle soit liée à des substances (alcool, drogues) ou à des comportements (jeux d’argent, pornographie, réseaux sociaux), exploite le circuit de récompense du cerveau. A travers la répétition, ce circuit est constamment sollicité, entraînant une désensibilisation des récepteurs dopaminergiques. Cela rend le cerveau moins sensible à la dopamine. En conséquence, le plaisir procuré par le comportement diminue, ce qui pousse à augmenter la fréquence ou l’intensité de la consommation (tolérance) et alimente un besoin irrépressible de consommer ou de s’engager dans le comportement (craving).
Ce déséquilibre chimique rend plus difficile l’accès au plaisir via la conduite addictive, laissant place à une douleur morale et physique. Cette douleur se manifeste par des symptômes tels que l’anxiété, la dépression, la fatigue, et des envies irrépressibles. Plus la personne s’engage dans l’addiction pour échapper à cette douleur, plus celle-ci s’intensifie, créant un cycle où la recherche de plaisir aboutit paradoxalement à plus de souffrance.
Le circuit de la motivation, souvent sollicité, accentue le désir de consommer malgré des conséquences négatives. En parallèle, les altérations du contrôle exécutif affaiblissent la capacité à réguler les comportements, augmentant ainsi le risque de rechute.
Pour sortir de ce cycle, il est essentiel d’interrompre la conduite addictive de manière prolongée, afin de permettre au cerveau de retrouver son homéostasie — son équilibre naturel — et de rétablir une production normale de dopamine.
Le sevrage : un retour à l’équilibre
Définition
Le sevrage est le processus par lequel une personne cesse de consommer une substance ou d’adopter un comportement addictif. Ce processus est souvent accompagné de symptômes physiques et psychologiques variés, liés à l’ajustement de l’organisme en l’absence de la substance ou du comportement.
Les étapes du sevrage
1. Phase de désintoxication : arrêt immédiat (jours 1 à 10)
La première étape du sevrage est souvent la plus intense. L’arrêt brutal de la substance ou du comportement provoque un état de manque, avec des symptômes tels que l’anxiété, l’irritabilité, des troubles du sommeil, des nausées, et des cravings intenses. Les circuits de récompense et de motivation, désormais sous-stimulés, exacerbent ce malaise.
Cette phase, qui dure généralement entre 7 et 10 jours, est critique. Durant cette période, il est essentiel de s’occuper activement, de bénéficier (si possible) du soutien de l’entourage proche, et de commencer un suivi avec un spécialiste pour réduire le risque de rechutes précoces.
2. Phase de rééquilibrage du cerveau (4 à 12 semaines)
Le cerveau commence à rétablir son équilibre chimique, un processus pouvant prendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois selon la situation. Les niveaux de dopamine reviennent progressivement à la normale, mais cela s’accompagne souvent de fluctuations émotionnelles marquées. La diminution de stimulation dopaminergique peut entraîner une anhédonie (incapacité à ressentir du plaisir dans des activités habituellement agréables), rendant le quotidien difficile à vivre.
Durant cette phase, des moments de désespoir ou d’épuisement psychologique peuvent survenir, augmentant le risque de rechute. La tentation de chercher du réconfort dans l’ancienne addiction peut être particulièrement difficile à surmonter. Il faudra lutter contre les souvenirs associatifs intenses, et tenir bon. L’accompagnement psychologique s’avère particulièrement important pendant cette période.
3. Phase de redécouverte (à partir de 6 semaines)
A mesure que les symptômes du sevrage s’estompent, la redécouverte du plaisir devient possible. Commence alors une phase durant laquelle des activités qui semblaient auparavant dénuées d’intérêt redeviennent progressivement agréables. Le cerveau recommence à produire de la dopamine de manière plus équilibrée.
Cependant, cette phase reste fragile. La prévention de la rechute est essentielle, et l’adoption de nouvelles habitudes de vie est cruciale pour stabiliser le rétablissement.
4. Phase de reconstruction à long terme (6 mois et au-delà)
Le véritable rétablissement après une addiction peut prendre des mois, voire des années, selon la situation. Inscrire ce processus dans la durée nécessite une reconstitution de l’histoire de vie, notamment pour révéler et comprendre les causes sous-jacentes de l’addiction.
C’est ici que la psychothérapie, les groupes de soutien, jouent un rôle crucial. L’individu apprend à identifier ses déclencheurs, à développer des mécanismes d’adaptation plus sains et à reconstruire ses relations personnelles et professionnelles, souvent affectées par l’addiction. Le processus n’est pas linéaire, et les rechutes, si elles surviennent, doivent être considérées comme des opportunités d’apprentissage plutôt que comme des échecs définitifs.
Les clés du succès dans le sevrage
Le sevrage n’est pas seulement une lutte contre les symptômes physiques ; il s’agit également d’un défi émotionnel et psychologique.
Voici quelques éléments qui peuvent contribuer à un sevrage réussi :
- Support social : famille, amis groupes de parole
- Accompagnement médical et psychologique
- Instauration de nouvelles activités
- Routine structurée
- Activité physique régulière
Conclusion
Références :
- Everitt, B. J., & Robbins, T. W. (2016). Drug addiction: Updating actions to habits to compulsions ten years on. Annual Review of Psychology, 67, 23–50. https://doi.org/10.1146/annurev-psych-122414-033457
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- Koob, G. F., & Volkow, N. D. (2021). Neurobiology of addiction: A neurocircuitry analysis. Annual Review of Neuroscience, 44, 479–498. https://doi.org/10.1146/annurev-neuro-092920-123905
- Lembke, A. (2021). Dopamine Nation: Finding Balance in the Age of Indulgence. Dutton. https://www.penguinrandomhouse.com/books/624957/dopamine-nation-by-anna-lembke-md/